Les dirigeants de la Fédération nationale bovine et de la Fédération nationale des producteurs de lait ont demandé le 16 décembre à conserver coûte que coûte, le statut indemne de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) à la France. Au même moment, le gouvernement annonçait l’accélération de la vaccination généralisée des bovins dans le Sud-Ouest afin de limiter la propagation du virus.

La parole des éleveurs était quelque peu attendue. Elle est intervenue alors même que le Premier ministre, Sébastien Lecornu mettait un terme à une réunion de crise avec quelques ministres, dont celle de l’Agriculture, Annie Genevard et les préfets de la région Occitanie. Patrick Bénézit, président de la FNB et son alter ego de la FNPL, Yohann Barbe, ont rappelé leur priorité : ” maintenir le statut indemne de la France, pour ne pas pâtir de la dévalorisation économique de leur production “. Car de nombreux éleveurs qui disposent de troupeaux sains mais touchés par la zone réglementée des 50 km ne peuvent pas vendre leur cheptel. ” Cette mise sous cloche touche déjà les producteurs de fromages au lait cru “, a expliqué Yohann Barbe qui dénonce le protectionnisme de certains pays tiers comme le Canada et le Royaume-Uni qui ont imposé un embargo sur ces produits laitiers. Cette zone réglementée interdisant tout mouvement d’animaux, ces derniers peinent à être valorisés et changent parfois de catégorie.
Broutards bloqués à l’export
Il en est ainsi de certains éleveurs de broutards qui ne peuvent plus exporter en Espagne et même en Italie. Un accord a bien été signé avec Rome mais les conditions sont très contraignantes : que 95 % des bovins aient été vaccinés dans la zone réglementée (ce qui peut prendre du temps…), un test PCR pour chaque bovin, etc. ” Au plus vite, si aucun cas n’est survenu depuis plusieurs semaines, on peut exporter au bout de quatre mois, mais ça peut pousser à cinq, six mois “, a expliqué Patrick Bénézit. En attendant, l’éleveur débourse environ trois euros par jour et par animal et ” aucune indemnisation ne vient “ s’est désolé le président de la FNB. ” Parfois, les animaux ne trouvent plus aucun débouché comme les veaux laitiers sevrés pour en faire des veaux de boucherie “, a renchéri Yohann Barbe.
” Au coup par coup “
Les éleveurs touchés par la DNC et qui ont vu leur élevage dépeuplé peinent aussi à récupérer l’intégralité de leur préjudice. Patrick Bénézit dénonce ” les retards et les difficultés des éleveurs à reconstituer leur cheptel “ car l’État indemnise à hauteur de 2 100 euros par unité de gros bovin alors que la valeur réelle avoisine 3 000 à 3 500 euros. En attendant, ce sont les éleveurs qui réalisent les avances de trésorerie et se mettent financièrement en danger, jouant au passage le rôle de banquier de l’État, a-t-il laissé entendre. ” Il ne faudrait pas en plus que les éleveurs soient taxés fiscalement et socialement pour les indemnités perçues en raison du dépeuplement “ a indiqué Yohann Barbe. Mais tout dépendra du vote du projet de loi de Finances 2026.
La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, doit déposer un amendement permettant l’exonération de ces indemnités. La FNB et la FNPL ont demandé que l’État commande suffisamment de vaccins et n’agisse pas au ” coup par coup, car les éleveurs ont besoin d’être rassurés (…) Avoir des doses de vaccins pour 30 ou 40 % des bovins* à la hauteur de ce qu’on a eu pour la fièvre catarrhale ovine (FCO), serait logique “, a certifié Yohann Barbe. Il a d’ailleurs rappelé que chaque année, ce sont environ 5 000 vaches qui sont euthanasiées après avoir été atteintes de la tuberculose bovine et que la FCO a fait perdre 11 000 vaches laitières et 11 500 vaches allaitantes en 2024. Au 16 décembre, ” seules “ 3 200 bêtes ont été euthanasiées en raison de la DNC. Enfin, les deux associations spécialisées de la FNSEA demandent que le gouvernement fasse toute la lumière sur les mouvements illicites ou supposés d’animaux et qu’il se penche aussi sur les transmissions de virus. Yohann Barbe met d’ailleurs en garde les éleveurs qui ne souhaitent pas signaler les animaux malades, car un nodule tombé au sol conserve sa charge virale pendant au moins quatre mois. ” Attention à une reprise de la maladie au début 2026 “, a-t-il prévenu.
(*) Le cheptel français compte environ 16 millions de bovins
Christophe Soulard
Mobilisation générale pour la vaccination
Le gouvernement a annoncé le 16 décembre l’accélération de la vaccination généralisée des bovins dans le Sud-Ouest, ce qui permettra ” la mise en place d’un cordon sanitaire empêchant la DNC de se propager “, indique un communiqué du gouvernement. Pas moins de 750 000 bovins sont concernés et toutes les forces vétérinaires françaises sont mobilisées : vétérinaires des services de l’État ; vétérinaires volontaires, retraités ou en activité, de toute la France ; vétérinaires militaires et élèves vétérinaires. Un préfet coordinateur, Pascal Sanjuan, est chargé de la bonne mise en œuvre de ce plan. Le gouvernement espère ” assurer une vaccination la plus rapide possible. Les 1 000 exploitations de l’Ariège seront intégralement vaccinées au 31 décembre 2025 “, promet-il.
Extension de la vaccination, 10 M€ pour les « petits élevages »
La vaccination préventive contre la DNC démarrée dans les départements pyrénéens sera étendue au Tarn et à l’Hérault, a annoncé le Premier ministre le 16 décembre. Quelque 750 000 bovins sont concernés. « Les 1 000 exploitations de l’Ariège seront intégralement vaccinées au 31 décembre », affirme encore l’exécutif dans un communiqué. « L’urgence absolue, c’est d’accélérer la vaccination », a martelé M. Lecornu lors des questions au gouvernement à l’Assemblée. D’après Matignon, « le stock de 500 000 doses du ministère chargé de l’Agriculture est déjà en cours d’acheminement auprès des cabinets vétérinaires », et la vaccination a commencé dans plusieurs départements (Ariège, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales). L’exécutif dit avoir passé une nouvelle commande « la semaine dernière » ; celle-ci est « en cours de conditionnement aux Pays-Bas » avec une première livraison de 400 000 doses prévue « dès le 18 décembre ». Par ailleurs, le gouvernement « a décidé d’activer un fonds de soutien de plus de 10 millions d’euros destiné à assurer un soutien direct aux petits élevages des zones touchées », sans préciser les modalités. À l’Assemblée, le locataire de Matignon avait évoqué cet « accompagnement spécifique des tout petits élevages qui vont connaître très très vite, dans les jours qui viennent, des difficultés de trésorerie ».
Lancement d’une « cellule de dialogue scientifique »
Lors de son déplacement à Toulouse lundi 15 décembre, la ministre de l’Agriculture a annoncé « la constitution d’une cellule de dialogue scientifique » autour du protocole sanitaire en Occitanie contre la DNC. Mise en place mardi 16 décembre, cette cellule regroupe des « représentants professionnels » proposés par le préfet de région et par la présidente de la Région Occitanie, ainsi que des « scientifiques de structures reconnues pour leur expertise en santé animale »*. Cette instance aura pour mission « d’examiner au plus vite, et en toute indépendance, les propositions formulées en Occitanie, au regard de l’impératif de protection des cheptels », selon un communiqué du ministère. Dans un contexte de mobilisations contre l‘abattage total des lots d’animaux infectés par la DNC, les organisations agricoles majoritaires de la région Occitanie (chambre régionale, FRSEA, JA) ont envoyé un courrier à Annie Genevard le 11 décembre. Outre une vaccination préventive élargie (en cours de déploiement), elles y demandent « d’urgence une réflexion sur la question des euthanasies dans les élevages ». « Sans remettre en cause la stratégie nationale », les OPA suggèrent de l’aménager dans leur région « en prenant en compte les risques de propagation de la maladie (protection vaccinale établie dans la zone, animaux en bâtiment…) ».
* SNGTV (groupements techniques vétérinaires), Anses, Cirad, ENVT (École vétérinaire de Toulouse)
Enquête pour menaces de mort envers un responsable syndical des vétérinaires
Une enquête pour menaces de mort a été ouverte le 16 décembre par le parquet de Bergerac (Dordogne) après une plainte du président de la Fédération des syndicats vétérinaires, dans un contexte de colère agricole contre la gestion de l’épizootie touchant les élevages bovins. Jean-Yves Gauchot, qui exerce au Bugue dans le département, a reçu un mail dans lequel on pouvait notamment lire : « Dans un autre temps, votre tête aurait fini au bout d’un pique », d’après la chaîne d’information BFMTV sur laquelle il s’était exprimé dimanche soir. L’enquête, ouverte pour « menaces de mort par écrit », a été confiée à la gendarmerie. La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a appelé sur Sud Radio le 16 décembre les éleveurs à « prendre soin de leurs vétérinaires », « parce qu’ils sont quelquefois malmenés ».
Le président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, Jacques Guérin, avait dénoncé en fin de semaine dernière des « pressions inacceptables ». « Vous avez des appels à brûler des cliniques sur les réseaux sociaux, des vétérinaires agonis d’injures sur leur standard (téléphonique, N.D.L.R.) : celui du Conseil national de l’Ordre est submergé d’appels de personnes complotistes, antivax, anti-tout, qui déversent des tombereaux de bêtises à l’encontre de la profession », avait-il déclaré à l’AFP.
Les commandes de vaccins « beaucoup trop courtes » pour la FNB et la FNPL
Le président de la FNB (éleveurs de bovins viande, FNSEA) Patrick Bénézit a demandé 16 décembre des commandes de vaccins contre la dermatose nodulaire (contagieuse) « beaucoup plus massives, pour que les éleveurs soient rassurés en cas d’évolution de la situation ». « Il serait logique d’avoir plusieurs millions de doses d’avance », a-t-il estimé lors d’une conférence de presse commune avec son homologue de la FNPL (producteurs de lait, FNSEA). Ce dernier fixe, lui, la barre à « 30 ou 40 % du cheptel bovin », alors que le stock actuel du ministère est de 500 000 doses, selon un communiqué de Matignon. Réagissant à chaud aux annonces de Matignon (lire ci-dessus), Yohann Barbe (FNPL) a dit attendre des clarifications sur le fonds d’aide de 10 M€ pour les « petits élevages », espérant qu’il ne s’agit pas d’un « recyclage » d’une précédente aide pour le retour d’estive annoncée fin septembre. Par ailleurs, les syndicats déplorent des « retards » dans le versement du solde des indemnisations sanitaires versées aux élevages dépeuplés, basées sur la valeur marchande des animaux. « Les éleveurs ont touché un acompte de 2 100 euros par vache, mais la valeur moyenne tourne autour de 3 000, 3 500 euros », a indiqué Yohann Barbe, promettant de « mettre la pression » sur ce sujet.
Culture Viande se prononce pour l’abattage
Le syndicat de l’abattage-découpe Culture Viande a indiqué le 15 décembre dans un communiqué de presse que « la stratégie sanitaire actuellement mise en œuvre par l’État pour la gestion de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) – dépeuplement, restriction de mouvement, et vaccination obligatoire – (…) constitue à ce stade le seul dispositif permettant d’assurer une protection sanitaire efficace et de préserver le statut indemne de la France ». « Les professionnels de la viande insistent sur la nécessité absolue de ne faire aucun compromis sur la protection sanitaire. Celle-ci constitue un pilier essentiel de la sécurité des élevages, de la crédibilité sanitaire de la France et de la pérennité économique de la filière ». Le syndicat prévient en outre que toute évolution éventuelle de la stratégie vaccinale devrait s’effectuer « dans le cadre d’une modification de la réglementation européenne et d’une évaluation approfondie, fondée sur des critères scientifiques, sanitaires, économiques et commerciaux ».
