« Il n’y aura pas de troisième dérogation pour les néonicotinoïdes », a déclaré le ministre de l’Agriculture Mars Fesneau le 23 janvier à l’issue d’une réunion avec les professionnels de la filière betteravière. Un fonds d’indemnisation est prévu en cas de pertes de rendement, si la jaunisse est présente.
Saisie sur la dérogation accordée par la Belgique aux semences enrobées de néonicotinoïdes (NNI), la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) avait conclu dans un arrêt rendu le 19 janvier que les États membres ne peuvent réautoriser des molécules « expressément interdites ». À six semaines des semis de betteraves, il s’agit « d’un coup difficile », a souligné le ministre de l’Agriculture, confirmant que la demande de dérogation pour les NNI ne sera pas soumise au conseil de surveillance le 26 janvier.
Afin de maintenir la pérennité de la filière betteravière en France, Marc Fesneau a affirmé la nécessité de trouver des alternatives, explorées notamment dans le cadre du PNRI, dans lequel 20 M € ont été investi. « Nous allons essayer d’accélérer les choses, mais il nous manque une année », a soutenu le ministre.
Parallèlement, Marc Fesneau a convenu de la mise en place « d’un dispositif qui permettrait de couvrir les pertes liées à la jaunisse, et ce le temps de trouver les alternatives dont la filière a besoin », sans en préciser l’enveloppe. Et d’ajouter vouloir « activer au niveau européen les clauses de sauvegarde pour qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence. (…) Si l’on aboutit à avoir du sucre et de l’éthanol de pays qui ne respectent pas nos normes, nous aurons tout perdu. »
La CGB appelle à une pleine indemnisation des pertes jaunisse
Réagissant à l’annonce du ministre, la CGB considère qu’en l’absence d’alternatives efficaces déployables en 2023 (qu’elles soient issues du PNRI ou non) « la filière se retrouve au pied du mur ». La catastrophe sanitaire de 2020 est toujours dans les esprits, avec une perte moyenne de rendement de 30 % au niveau national, les exploitations les plus touchées ayant perdu jusqu’à 70 % de leur récolte, dans certaines régions.
Pour la CGB, « à un mois et demi des semis de betteraves, c’est une immense déception pour toute notre filière qui plonge les betteraviers dans un grand désarroi. En l’absence de solutions efficaces, les surfaces risquent de baisser sensiblement. Au-delà de prolonger le PNRI (plan national de recherche et d’innovation), le ministre s’est engagé à étudier un dispositif d’indemnisation des pertes dues à la jaunisse : c’est une nécessité absolue pour rassurer les planteurs, à condition que ces pertes soient totalement prises en charge et de n’avoir ni franchise, ni plafonnement des aides ».
Enfin, cette décision et ses conséquences « mettent à mal la souveraineté alimentaire de l’Union européenne, déjà menacée et renforcent le risque d’importations massives de sucre ou d’éthanol (du Brésil notamment) issus de cultures utilisant des produits phytosanitaires interdits chez nous depuis longtemps ». « Nous sommes abasourdis par autant d’inconséquence » déclare Franck Sander, président de la CGB.
Le plan d’action du ministre de l’Agriculture
Marc Fesneau, a proposé aux professionnels de la filière un plan d’action adapté « qui garantisse la pérennité de notre filière française ». Ce plan d’action en soutien à l’ensemble de la filière betterave sucre, qui sera précisé dans les prochains jours avec la filière et les équipes scientifiques du PNRI, s’appuiera notamment sur les engagements suivants.
Dès la campagne 2023, et en liaison avec les professionnels, de nouveaux itinéraires techniques visant à protéger les betteraves, plantées cette année, seront élaborés.
En parallèle, toutes les solutions immédiatement disponibles issues des projets du plan national de recherche et d’innovation, notamment les plantes compagnes, seront déployées et accélérées à l’horizon des semis 2023, sur le plus de surface possible. Le choix sera laissé aux agriculteurs de déployer ces outils. Le programme de recherche sera également accéléré et les ressources nécessaires à la gestion des projets seront augmentées.
La France s’assurera de l’homogénéité de l’application de la décision de la CJUE au sein de tous les pays de l’Union européenne afin d’éviter toute distorsion préjudiciable à la filière française.
La France va déclencher une clause de sauvegarde auprès de la Commission européenne afin de s’assurer que les semences, betterave et sucre de betterave importés en 2023 ne peuvent pas être traités avec des néonicotinoïdes.
En 2023, l’État mettra en place un accompagnement financier pour soutenir les planteurs, mobilisable en cas de pertes de rendements liés à la jaunisse. Cette aide, dont les éléments techniques devront être définis rapidement, a vocation à sécuriser les planteurs et les industriels dans cette transition.
LPO : « une grande victoire pour la biodiversité
Allain Bougrain Dubourg, président de la Ligue française de protection des oiseaux a réagi : « La LPO salue la décision du gouvernement et singulièrement de Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, et de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, de mettre fin définitivement à l’usage des néonicotinoïdes. Le fonds d’indemnisation prévu en cas de pertes de rendement, si la jaunisse est présente pour la prochaine saison, est une avancée majeure et une garantie importante pour les betteraviers français. C’est une grande victoire pour la biodiversité, que nous encouragions et attendions depuis des années. Critiques face à l’inacceptable, nous nous réjouissons aussi de saluer les avancées courageuses. La décision du gouvernement témoigne que la protection de la biodiversité, le respect du droit européen et la garantie du revenu des agriculteurs peuvent être conciliés. »
La rédaction