Hervé Lapie : « Nous appelons à une véritable respiration normative »

Reims La Marne Agricole À la veille de l’appel à la mobilisation des agriculteurs du 20 au 24 novembre, Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA (et président de la FDSEA de la Marne) et Pierrick Horel, secrétaire général de JA, demandent au gouvernement de renoncer à l’empilement des normes et des règlements qu’il impose aux agriculteurs et qui brident toutes leurs initiatives pour surmonter le défi actuel des transitions énergétiques et écologiques.
Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA (et président de la FDSEA de la Marne). Crédit D.R.

À la veille de l’appel à la mobilisation des agriculteurs du 20 au 24 novembre, Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA (et président de la FDSEA de la Marne) et Pierrick Horel, secrétaire général de JA, demandent au gouvernement de renoncer à l’empilement des normes et des règlements qu’il impose aux agriculteurs et qui brident toutes leurs initiatives pour surmonter le défi actuel des transitions énergétiques et écologiques.

Reims La Marne Agricole À la veille de l’appel à la mobilisation des agriculteurs du 20 au 24 novembre, Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA (et président de la FDSEA de la Marne) et Pierrick Horel, secrétaire général de JA, demandent au gouvernement de renoncer à l’empilement des normes et des règlements qu’il impose aux agriculteurs et qui brident toutes leurs initiatives pour surmonter le défi actuel des transitions énergétiques et écologiques.
Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA (et président de la FDSEA de la Marne). Crédit D.R.

Pour quelles raisons appelez-vous les agriculteurs à se mobiliser dans la semaine du 20 au 24 novembre ?

Hervé Lapie.- Avec les Jeunes Agriculteurs, nous avons lancé un appel à la mobilisation générale car nous ne voulons pas d’une transition écologique sous pression, comme le gouvernement nous y conduit. Cette politique qu’il nous impose manque de sens et de vision d’avenir contrairement aux engagements du président de la République aux Terres de Jim en septembre 2022. Il s’était prononcé alors en faveur d’un pacte visant à réarmer l’agriculture française et à répondre aux enjeux de la souveraineté alimentaire.

Rien de tout cela aujourd’hui. Aucun signal des pouvoirs publics en effet sur le renouvellement de la dérogation jachère de 4 % pour produire de la biomasse ou des légumineuses et des oléagineux susceptibles de réduire notre dépendance en protéines. Pire le gouvernement prévoit dans le budget 2024 une augmentation de la redevance pour pollution diffuse et de celle sur l’eau contrairement à la promesse faite de ne pas accroître les taxes. Nos moyens de production sont régulièrement amputés avec des interdictions de produits phytosanitaires qui laissent les agriculteurs sans solution, les normes d’élevage deviennent de plus en plus contraignantes, ce qui renchérit les coûts de production et décourage les investissements. Je pense notamment à la directive sur les émissions industrielles (IED) en cours de révision. Sans parler des accords de libre-échange que l’Union européenne est prête à ratifier.

Nous sommes en train de fragiliser l’agriculture française. Inimaginable, il y a encore quelques années, la France importe désormais 50 % de son alimentation et nous déléguons à d’autres l’alimentation des Français, « une folie », ainsi que le déplorait le président de la République. Bref, nous faisons le contraire de ce qu’il faudrait faire. Il est temps de siffler la fin de la récréation. Les agriculteurs sont prêts à relever ce défi de la transition écologique et à partager un projet ambitieux de souveraineté alimentaire. Encore faut-il qu’ils aient les moyens de le faire et qu’ils disposent d’un revenu suffisant pour s’y engager.

Pierrick Horel.-  Nous faisons un constat généralisé d’exaspération des agriculteurs. Les pouvoirs publics nous imposent une transition écologique sous une pression normative extrêmement pénalisante. Je pense notamment à l’augmentation de la redevance pour pollutions diffuses (RPD), à celle de l’eau, à la directive sur les émissions industrielles (IED) que la Commission européenne s’apprête à durcir. Le gouvernement ne cesse de grever nos moyens de production qui sont mis à rude épreuve, si bien que les agriculteurs ne sont pas en mesure de faire face à cette avalanche de contraintes. Je déplore l’incohérence des pouvoirs publics qui multiplient les plans sectoriels sur le bio, les protéines, les fruits et légumes, la viticulture… sans une vision claire d’ensemble de l’avenir de l’agriculture. Ce sont pour toutes ces raisons que les JA appellent les agriculteurs à se mobiliser. Nous ne voulons pas subir, mais être des acteurs des changements attendus. Et malgré les engagements du président de la République à Terre de Jim en septembre 2022, le compte n’y est pas.

Reims La Marne Agricole À la veille de l’appel à la mobilisation des agriculteurs du 20 au 24 novembre, Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA (et président de la FDSEA de la Marne) et Pierrick Horel, secrétaire général de JA, demandent au gouvernement de renoncer à l’empilement des normes et des règlements qu’il impose aux agriculteurs et qui brident toutes leurs initiatives pour surmonter le défi actuel des transitions énergétiques et écologiques.
Pierrick Horel, secrétaire général de JA. Crédit D.R.

Manque de vision

Est-ce que le gouvernement n’a pas répondu à certaines de vos attentes ?

H.L.- Grâce au travail que nous avons mené auprès des pouvoirs publics nous avons obtenu quelques avancées sur l’adaptation de la fiscalité agricole dans le cadre de la loi de Finances pour 2024, notamment pour faire face à la retaxation progressive du GNR imposée par Bercy, ou pour donner une bouffée d’air à nos éleveurs bovins. Le gouvernement a également annoncé un certain nombre de plans sectoriels sur les protéines, les fruits et légumes, la viticulture… Mais ces plans ne règlent pas l’empilement des normes et les mesures annoncées ne fournissent que des réponses à très court terme, sans structuration, ni vision claire de l’agriculture confrontée au défi du changement climatique. Ne serait-ce qu’en matière de gestion de l’eau, un totem absolu, malgré les sécheresses que nous avons connues et maintenant les excès d’eau et inondations que nous subissons. Les pouvoirs publics en restent à une approche dogmatique, y compris sur la souveraineté alimentaire dont on parle beaucoup et pour laquelle on ne fait rien.

P.H.- Effectivement on a eu quelques signaux plutôt favorables, comme les déclarations du président de la République sur la souveraineté alimentaire. N’a-t-il pas déclaré que déléguer notre alimentation à d’autres était « une folie ». Mais la déclinaison du discours ne suit pas. Qu’en est-il de la sortie des énergies fossiles, même si quelques avancées ont été obtenues dans la loi de Finances pour 2024 ? Qu’en est-il de la loi de modernisation agricole actuellement en préparation qui manque cruellement d’ambition au regard des intentions affichées ? Il n’y a rien dans le texte qui apporte de réels progrès. Face à la bascule démographique qui est devant nous, le projet de loi actuel ne prévoit aucun outil législatif et financier susceptible de répondre aux enjeux à venir.

Quelle forme prendra la mobilisation ?

H.L.- Nous laissons à chaque département l’initiative des modes d’action les plus pertinents en fonction des situations locales. Bien entendu, ce sont les préfets et les parlementaires qui seront ciblés en priorité. De quelle façon ? C’est aux responsables départementaux d’en décider. L’objectif est d’interpeller préfets et élus dans le respect des biens et des personnes, pour faire remonter nos revendications à Paris et faire prendre conscience au gouvernement de la nécessité et de l’urgence à prendre en considération le malaise qui couve dans les campagnes.

P.H.-  Avec la FNSEA, nous avons lancé un appel national en invitant les agriculteurs à se mobiliser dans chaque département pendant la semaine du 20 au 24 novembre. Principale cible les préfectures dans le respect des biens et des personnes. Objectif : rencontrer les préfets à qui nous présenterons nos revendications pour qu’ils les fassent remonter au gouvernement. Si au soir du 24 novembre, nous n’avons pas de réponse satisfaisante, nous n’hésiterons pas à faire monter la pression dans les semaines qui suivront.

À Paris et à Bruxelles

Quelles décisions des pouvoirs publics attendez-vous en priorité ?

H.L.-  Dans l’immédiat, nous appelons à une véritable respiration normative. Nous demandons à l’État de suspendre la hausse de la redevance sur les pollutions diffuses et celle sur l’eau inscrite dans le budget 2024. Sur le plan européen nous demandons au gouvernement d’obtenir le statu quo sur la directive sur les émissions industrielles (IED) ainsi que sur celle de l’usage durable des produits phytosanitaires (SUR). Il doit également s’opposer aux accords de libre-échange, maintenir les dispositifs issus des lois EGalim et s’agissant des jachères trouver une solution pour que les agriculteurs puissent y cultiver de la biomasse et des plantes à protéines. D’une façon générale, nous demandons au gouvernement de garantir nos moyens de production et, comme la Première ministre s’y est engagée, d’accompagner les transitions sans mettre les agriculteurs dans des impasses. Nous souhaitons mener également une réflexion sur l’agriculture biologique, en grande difficulté actuellement. Plutôt que de fixer des objectifs ambitieux en la matière, la priorité devrait être aujourd’hui d’éviter les déconversions et de maintenir les producteurs qui souffrent. La viticulture doit également bénéficier d’une attention particulière. Comme l’élevage confronté à la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui laisse les éleveurs en attente d’indemnisations.

P.H.- Nous insistons pour que la dérogation sur les jachères soit reconduite. Mise en place au moment du conflit entre l’Ukraine et la Russie, elle doit être prorogée à l’occasion des prochaines déclarations PAC en mai prochain, le contexte géopolitique n’ayant pas changé depuis. Nous demandons à l’État de suspendre la hausse sur la redevance pour pollutions diffuses (RPD), celle de la redevance eau, de veiller à maintenir également le statu quo sur la directive des pollutions industrielles et celle sur l’usage des pesticides, à Bruxelles. Je pense aussi à la viticulture qui doit faire l’objet d’une attention particulière. Nous devons être attentifs à ne pas perdre notre potentiel de production que nous aurons du mal à retrouver. D’une façon générale nous avons besoin de respiration normative, d’un peu d’air, pour retrouver de la compétitivité et une envie d’entreprendre et amorcer ainsi la transition écologique dans de bonnes conditions.

Et à plus long terme ?

H.L.-  Le Pacte et la Loi d’orientation agricole (PLOAA) actuellement en préparation devraient être l’occasion d’engager une vraie transition écologique et de décarbonation de l’agriculture vu l’urgence climatique. Or le projet n’engage pas une vraie stratégie de planification écologique, ni d’amélioration du revenu des agriculteurs, à plus forte raison de compétitivité de l’agriculture, qui reste à ce stade sous les radars. L’agriculture a perdu 100 000 agriculteurs en dix ans. Ce ne sont pas avec les dispositions prévues que l’on relèvera le défi de la transmission et de l’installation des agriculteurs. Nous appelons à plus de cohérence, plus d’ambition pour enrayer le déclin. Les transitions ne se feront pas contre les agriculteurs mais avec eux. Ils sont aujourd’hui saturés. Les aspects normatifs et réglementaires ont pris le dessus sur l’esprit d’entreprise qui les anime. A la fois agronomes, comptables, gestionnaires, mécaniciens, directeurs de ressources humaines, les agriculteurs sont complètement asphyxiés par les normes qui les empêchent de développer leur esprit d’initiative. Là est certainement le vrai problème.

P.H.-  Nous demandons aux pouvoirs publics de partager avec nous une vision claire de l’agriculture que nous voulons pour les trente prochaines années, une agriculture qui participe à la souveraineté alimentaire, à la fois pour satisfaire les besoins des Français et à l’exportation pour contribuer à la réduction de la faim et de la malnutrition dans le monde. Face à cet enjeu et à la bascule démographique qui nous attend, les agriculteurs doivent être accompagnés. Aujourd’hui nous avons besoin de vraies mesures pour favoriser la transmission et l’installation de jeunes agriculteurs. Peut-être davantage la transmission par des mesures fiscales incitatives pour favoriser le renouvellement des générations. La loi d’orientation agricole devrait être l’occasion d’enclencher ce processus et de porter une vision d’avenir. Aux Jeunes Agriculteurs nous nous mobilisons dans ce sens. Mais nous nous heurtons à des prises de parole contradictoires et à des actes pas toujours en accord avec les déclarations officielles. Sans vrai politique de transmission, les agriculteurs ne seront pas en mesure de répondre aux enjeux qui nous attendent, ceux de la souveraineté alimentaire et de la transition écologique.

Actuagri

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