Une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, publiée le 19 janvier, remet en cause la dérogation qui s’apprêtait à être accordée en France aux semences de betteraves traitées aux néonicotinoïdes. La réunion du conseil de surveillance prévue le 20 a été décalée d’une semaine, afin de permettre aux services ministériels d’examiner les conséquences juridiques de cet arrêt.
« La nuit a été longue », souffle-t-on à la CGB (betteraviers, FNSEA). La décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) publiée le 19 janvier a surpris. Saisis sur la dérogation accordée par la Belgique aux semences enrobées de clothianidine et thiaméthoxame, les juges européens concluent dans leur arrêt que le règlement de 2009 sur les pesticides « ne permet pas à un État membre d’autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement de semences, ainsi que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées ».
Car l’article 53 du règlement européen de 2009 sur les pesticides qui ouvre la possibilité de dérogation concerne uniquement, selon les juges, les molécules « qui ne sont pas couvertes par un règlement d’approbation ». Or, rappellent-ils, les néonicotinoïdes ont été strictement interdits en 2018, en considérant que « les abeilles couraient des risques aigus élevés et des risques chroniques élevés ». Ces substances, remarquent les juges, ne satisfaisaient pas à l’objectif communautaire de garantir « un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement ».
Réactions immédiates des ONG
Même si cas jugé était belge, les conséquences se font déjà sentir en France. Car la décision européenne est parue à la veille de la réunion du comité de surveillance des néonicotinoïdes, qui aurait dû se pencher le 20 janvier sur le renouvellement d’une dérogation pour 2023. Quelques semaines plus tôt, à l’assemblée générale des planteurs début décembre, l’issue de cette rencontre ne faisait pourtant pas de doute. « La plupart des planteurs ont déjà misé sur la dérogation », confiait-on alors au sein de la CGB, alors que le ministre Marc Fesneau lui-même avait confirmé son « soutien » à la dérogation dans une allocution filmée.
Après la décision de la CJUE, la réaction des associations environnementales a été immédiate. Dans un communiqué publié en début d’après-midi le 19 janvier, Générations futures estime que le gouvernement français doit retirer « immédiatement sa proposition de nouvelle dérogation », puisque celle-ci « s’avère illégale ». De même, la LPO, dans un autre communiqué envoyé à quelques minutes d’écarts, considère que « la justice européenne confirme, comme nous le plaidions, que l’usage de ces pesticides tueurs d’abeilles est illégal depuis le début ! »
Hésitations dans le monde agricole
À l’inverse, les réactions des acteurs agricoles comme celles des ministères ont tardé à venir. La Rue de Varenne, en fin d’après-midi, a indiqué à plusieurs rédactions avoir « bien pris connaissance de la décision », confiant qu’une « analyse » était menée par ses services. La réaction des betteraviers a été encore plus tardive, avec un communiqué envoyé un peu avant 21h, dans lequel la CGB « s’insurge » contre la « brutalité » de la décision de justice. « À seulement quelques semaines des semis de betteraves, on ne peut pas envisager de rester dans l’impasse », dénonce son président Franck Sander. Et de rappeler que « le Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) n’apporte pas encore d’alternatives ».
Face à l’incertitude juridique, le sénateur d’Indre-et-Loire Pierre Louault, président du comité de surveillance des néonicotinoïdes, a repoussé au 26 janvier la réunion prévue le 20 janvier pour statuer sur la dérogation pour 2023. « Ce report est dû à la nécessité d’analyser les implications de l’arrêt de la CJUE », précise le sénateur dans un e-mail envoyé aux participants du conseil de surveillance.
Le ministère de l’Agriculture, « prenant acte » de la décision du président du comité, a confirmé dans un communiqué envoyé dans la soirée du 19 janvier que le délai supplémentaire sera utilisé « pour expertiser les conséquences juridiques de cette décision en droit français et les conséquences pour la campagne de production qui s’ouvre ». Serait-ce un premier argument avancé dans la bataille qui s’annonce pour les prochains jours ? Quelques jours après le ministre de la Transition écologique, la Rue de Varenne souligne au passage que « l’année 2023 constitue la dernière année de mise en œuvre de la loi du 14 décembre 2020 » qui avait ouvert aux dérogations.
Ivan Logvenoff
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