Les grands électeurs doivent renouveler, le 24 septembre prochain, la moitié des sièges du Sénat, une chambre qui a regagné en puissance depuis les élections législatives de 2022, et où les agriculteurs sont traditionnellement mieux représentés qu’à l’Assemblée. Parmi les sortants, six agriculteurs se représentent en tête de liste, dont Laurent Duplomb, sénateur LR de Haute-Loire, président du groupe d’étude Agriculture et alimentation, et coauteur de la proposition de loi sur la Compétitivité de la Ferme France.
Et trois anciens agriculteurs membres de l’UDI quittent le Palais du Luxembourg : Jean-Marie Janssens (Loir-et-Cher), Jacques Le Nay (Morbihan) et Pierre Louault (Indre-et-Loire) ; ce dernier va tenter de passer la main à son propre fils, Vincent Louault, également agriculteur. À ce stade, il n’est pas acquis qu’il y aura autant d’agriculteurs sortants que de nouvellement élus. Au total, sept exploitants ou retraités veulent faire leur entrée dans la chambre haute, dont un ancien président de FDSEA, avec des chances de réussites très variables.
Renouvelé de moitié tous les trois ans par un collège de 160 000 grands électeurs (en majorité des élus municipaux), les élections sénatoriales sont le plus stable de nos scrutins, favorisant les plus anciens partis, dont l’implantation territoriale est achevée. Elles ne ménagent généralement pas de grand suspense ; en raison du fonctionnement du scrutin, la chambre haute a toujours été présidée par la droite, à l’exception des mandats de Gaston Monnerville (1958-1968) et de Jean-Pierre Bel (2011-2014). Et son rôle a été largement amoindri de 2017 à 2022, le dernier mot revenant à l’Assemblée, dominée alors, à la majorité absolue, par LREM.
Alors pourquoi s’intéresser à ces élections ? D’abord parce que le Sénat fait son retour depuis un an et demi dans les débats parlementaires. Les législatives de 2022 lui ont redonné du poids en installant une majorité relative à l’Assemblée, ce qui incite parfois le gouvernement à écouter davantage le Sénat, même si celui-ci reste théoriquement contournable. L’influence de la chambre haute devrait s’illustrer dans l’examen attendu à l’automne du projet de loi d’orientation agricole (LOA). En déposant une proposition de loi pour la Compétitivité de la Ferme France en février, le sénateur LR Laurent Duplomb pèsera-t-il sur le contenu du texte gouvernemental ?
Vague verte, dynamique centriste
Le scrutin a donc regagné en importance, mais son résultat laisse peu de place au suspense, tant les règles de désignation des grands électeurs favorisent les petites communes rurales, où la droite est majoritaire. Selon une note récente de la fondation Jean Jaurès, « la majeure partie du corps électoral dans chaque département (la circonscription électorale des sénateurs) est constituée des élus municipaux dans les villes de moins de 10 000 habitants ». Organisées quelques mois après les municipales, les élections sénatoriales 2020 ont été, une nouvelle fois, largement dominées par Les Républicains (LR). Il devrait en être de même cette année.
Le groupe LR (145 élus) s’attend donc à rester confortablement en tête. Mais deux mouvements sont à surveiller : les dernières élections municipales avaient été marquées par une vague verte dans quelques grandes métropoles, qui avaient permis aux écologistes de reconstituer un groupe parlementaire au Sénat – et le parti EELV espère surfer à nouveau sur cette dynamique en 2023. Deuxième dynamique, celle de l’Union centriste : troisième groupe derrière LR et les socialistes (64 sièges), il est passé « en l’espace d’une décennie (…) de 31 à 57 sièges », constate la fondation Jean Jaurès. Il pourrait doubler les socialistes.
Pour les plus jeunes partis, ou ceux dont la dynamique est récente, le jeu reste difficile. Grâce à des listes d’union présentées dans la plupart des circonscriptions, le groupe Renaissance espère garder son groupe parlementaire, autrement dit atteindre un minimum de dix élus, rapportent nos confrères de FranceInfo. Ambitions modestes chez Horizons et Modem, qui souhaitent faire « mieux que cinq sénateurs ». Quant au Rassemblement national, il ambitionnerait de remporter « quatre à cinq sièges ». Et l’affaire devrait être également compliquée pour LFI, exclue de l’accord national entre socialistes, écologistes et communistes.
Artificialisation, inflation
Sur le fond, les enjeux sont difficiles à lire, car éclatés sur le territoire. Mais ils sont, de fait, polarisés par les problématiques des petites villes rurales. Inscrit dans la loi Climat de 2021, l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols avait par exemple fait bondir les élus des petites communes, qui craignaient de ne plus pouvoir développer d’activité économique sur leur territoire. Hasard du calendrier ou non, une proposition de loi, déposée par un sénateur LR, est venue l’amender quelques mois avant le scrutin, instaurant une « garantie rurale » d’un hectare pour toutes les communes. « Il n’y a pas une commune qui n’est pas concernée par ces textes, et qui ne l’évoque pas, avec beaucoup d’interrogations », témoigne Daniel Grémillet, agriculteur et sénateur LR des Vosges, dont le siège n’est pas en jeu cette année.
Autres sujets qui relient les grands électeurs et le secteur agricole : l’inflation alimentaire, qui touche les cantines scolaires des maires comme des élus départementaux, et rend encore plus difficile l’atteinte des objectifs d’Egalim sur l’approvisionnement en produits durables et de qualité ; ou encore l’essor de la précarité alimentaire, l’organisation et le financement de l’aide alimentaire dans les territoires.
Au-delà de la conjoncture, l’agriculture et le Sénat ont un lien particulier. De par les règles de désignation des grands électeurs, plus ruraux que la moyenne, l’agriculture est bien représentée au Sénat, mieux qu’à l’Assemblée. Selon les statistiques du Parlement, 5,4 % des sénateurs sont issus du secteur agricole, pour 2,7 % à l’Assemblée. Face à une démographie agricole en recul, l’un des enjeux du scrutin réside dans le renouvellement des sénateurs-agriculteurs.
Renouvellement agricole incertain
Parmi les sortants, six agriculteurs se représentent, dont Laurent Duplomb, sénateur LR de Haute-Loire, président du groupe d’étude Agriculture et alimentation, et coauteur de la proposition de loi sur la Compétitivité de la Ferme France. Il devrait l’emporter facilement dans ce département rural où deux places sont à pourvoir, et trois listes s’opposent à lui.
Parmi les sortants qui ont choisi de quitter le Palais du Luxembourg, on trouve d’abord l’emblématique Joël Labbé, sénateur écolo du Morbihan, qui avait obtenu en 2014 l’interdiction des pesticides dans les espaces publics. Trois anciens agriculteurs, tous membres de l’UDI, ont également choisi de ne pas se représenter : Jean-Marie Janssens (Loir-et-Cher), Jacques Le Nay (Morbihan) et Pierre Louault (Indre-et-Loire) ; ce dernier va tenter de passer la main à son propre fils, Vincent Louault, également agriculteur.
Au total, sept agriculteurs veulent faire leur entrée dans la chambre haute, dont un ancien président de FDSEA. L’agriculteur Gérôme Fassenet (LR) se présente dans le Jura, où l’issue du scrutin est incertaine. Comme en 2017, le département est marqué par des divisions au sein de la droite, avec deux listes LR cette année. Lors du précédent scrutin, cela n’avait pas empêché le parti de droite de faire élire un sénateur dans ce département. L’affaire sera peut-être plus difficile encore pour l’agriculteur Jean-François Garrabos (Renaissance), qui se présente dans le Lot-et-Garonne, où LREM n’avait pas passé le second tour en 2017.
Pas de duels agricoles en vue, ou presque. En Moselle, où cinq sièges sont à pourvoir et treize listes sont présentées, l’ancien président de la FDSEA Jean-Marc Breme sera à la tête d’une liste indépendante intitulée « Une valeur sûre et authentique, la Terre ». Il affrontera notamment Michaël Weber, président de la fédération nationale des Parcs naturels régionaux, qui portera les couleurs d’une des quatre listes de gauche. Dans les Landes, dominées par le Parti socialiste en 2017, Alain Godot, professeur de lycée agricole et élu Snetap-FSU portera les couleurs d’EE-LV. Il affrontera Jean-Luc Lafenêtre, retraité du monde agricole (divers centre).
Mathieu Robert
Liste des candidats pour les élections sénatoriales du 24 septembre 2023 dans la Marne
La Marne a ceci de particulier que les trois sénateurs sortants ne se représentent pas : René-Paul Savary (LR), Françoise Férat (UDI) et Yves Détraigne (UDI).
Les listes
- Avec la Marne, un nouvel horizon pour la France (Liste Horizons) comprenant : candidat n° 1 : Cédric CHEVALIER candidat n° 2 : Élisa SCHAJER Candidat n° 3 : Nicolas COUTENCEAU candidat n° 4 : Roxane JACQUERAY candidat n° 5 : Alexandre CANIVET
- Marne Union populaire écologique et sociale (Liste La France insoumise) comprenant : candidat n° 1 : Maxence LAURENT candidat n° 2 : Agnès GUYOT candidat n° 3 : Étienne FRANÇOIS candidat n° 4 : Ghislaine PROFIT candidat n° 5 : Michel CAUCHETIER
- Au service des communes pour défendre la Marne (Liste Rassemblement National) comprenant : candidat n° 1 : Anne-Sophie FRIGOUT candidat n° 2 : Thierry BESSON candidat n° 3 : Jennifer MARC candidat n° 4 : Julien GUERIN candidat n° 5 : Marie TASSIERS
- Pour toute la Marne (Liste d’union de la droite) comprenant : candidat n° 1 : Christian BRUYEN candidat n° 2 : Anne-Sophie ROMAGNY candidat n° 3 : Julien VALENTIN candidat n° 4 : Florence LOISELET candidat n° 5 : Jonathan RODRIGUES
- La République au cœur des territoires (Liste d’union de la Gauche) comprenant : candidat n° 1 : Éric QUÉNARD candidat n° 2 : Chantal BOUCHÉ candidat n° 3 : Pierre-Laurent DEBRIX candidat n° 4 : Khira TAÂM candidat n° 5 : Christian VALDEVIT
- Ensemble, ayons des projets d’avenir ! (Liste écologiste) comprenant : candidat n° 1 : Juliette DE CAUSANS candidat n° 2 : Gilles NEFFATI candidat n° 3 : Isabelle PESTRE candidat n° 4 : Frédéric FALLEUR candidat n° 5 : Pauline DE AYALA
La campagne (source : Wikipédia)
Aucun des trois sénateurs sortants n’est candidat à sa réélection. Les centristes Françoise Férat et Yves Détraigne étaient élus depuis 2001 ; René-Paul Savary — ancien président du conseil départemental — était élu depuis 2011.
Christian Bruyen, qui a succédé à René-Paul Savary à la tête du conseil départemental de la Marne en 2017, annonce sa candidature au printemps 2023. Lui-même divers droite, il dirige une liste d’union de la droite et du centre comprenant la maire centriste de Bazancourt Anne-Sophie Romagny, le maire et conseiller départemental LR de Dampierre-sur-Moivre Julien Valentin, la maire et conseillère départementale centriste de Favresse Florence Loiselet et le conseiller départemental UDI d’Épernay Jonathan Rodrigues. Christian Bruyen dit s’inscrire « dans la continuité des sénateurs en place » et dans « la majorité conduite par Gérard Larcher », président du Sénat qui vient faire campagne à ses côtés en septembre.
Du côté de la majorité présidentielle, Horizons présente une liste menée par Cédric Chevalier, maire de Saint-Léonard, conseiller communautaire et régional. Y figurent Elisa Schajer, conseillère municipale de Châlons-en-Champagne et vice-présidente de Châlons Agglo chargée de la cohésion sociale, Nicolas Coutenceau, maire de Broussy-le-Petit, Roxane Jacqueray, ancienne assistante parlementaire à l’Assemblée nationale, et Alexandre Canivet, élu Renaissance au Mesnil-sur-Oger. La liste est soutenue par la présidente du Grand Reims Catherine Vautrin et par le maire de Reims Arnaud Robinet, qui affirme qu’« Horizons est le premier parti de la Marne désormais ». L’ancien premier ministre Édouard Philippe vient soutenir sa liste, en se rendant à la foire de Châlons. D’après Public Sénat, la Marne est l’une des « deux principales chances de gain de siège » pour Horizons, avec la Seine-et-Marne.
La liste du Rassemblement national est conduite par Anne-Sophie Frigout, éphémère députée dont l’élection en 2022 a été annulée et qui a perdu son siège lors de l’élection partielle, et conseillère régionale. Ses colistiers sont trois conseillers municipaux — Thierry Besson de Fagnières, Jennifer Marc de Romery, Julien Guérin de Givry-lès-Loisy — et la présidente du RN Jeunes du département Marie Tassiers.
À gauche, le conseiller municipal et régional socialiste Éric Quénard mène une liste de la « gauche républicaine et écologiste » qui réunit des personnalités socialistes, communistes (Chantal Berthélémy, adjointe au maire de Bouzy), écologistes (Pierre Laurent Debrix, militant associatif) et divers gauche (Khira Taam, conseillère municipale et départementale de Fagnières, et Christian Valdevit, élu de Frignicourt). La France insoumise présente sa propre liste, portée par Maxence Laurent. Elle comprend deux conseillères municipales, Agnès Guyot à Châlons-en-Champagne et Ghislaine Profit à Courtagnon, ainsi que deux candidats sans mandat électif, Étienne François et Michel Cauchetier.
Une sixième liste centriste et écologiste, considérée comme une « surprise » par le journal L’Union, est présentée par Juliette de Causans sous le titre « Ensemble, ayons des projets d’avenir ! ». Présidente du parti « Europe Égalité Écologie ! », Juliette de Causans précise que son parti politique est composé « d’anciens marcheurs et d’écologistes et socialistes non Nupes ». La liste comprend Isabelle Pestre — ancienne maire de La Chaussée-sur-Marne et conseillère régionale — ainsi que des membres de la société civile impliqués dans le département. La presse souligne alors les candidatures rapprochées de Juliette de Causans : aux élections législatives de 2022 dans les Ardennes, à une élection législative partielle chez les Français hors de France en 2023 ou encore aux futures élections européennes de 2024, ce à quoi Juliette de Causans répond qu’elle n’est pas contrairement à d’autres en situation de cumul des mandats. Juliette de Causans est connue pour avoir été la première candidate à avoir ouvertement fait usage de l’Intelligence artificielle dans ses affiches de campagne à partir de 2022. Son parti politique Europe Égalité Écologie ! ayant publié la première affiche politique mettant en scène un robot humanoïde avec pour slogan « Mettre les machines au service de l’humain » et un programme politique pour faire face à l’avancée du numérique, de l’intelligence artificielle et de la robotisation ainsi que leur impact sur la société.
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